Aujourd’hui, c’est au tour de Fabrice Hagmann, directeur artistique de nous parler de son travail sur le jeu.
Quels étaient les enjeux spécifiques en direction artistique sur SwapTales: Léon! ?
Une des particularités fondamentales du projet, c’est qu’il est destiné à la fois aux adultes et aux enfants, qui ont la possibilité de jouer ensemble. Il fallait donc trouver un style qui leur plaise et leur parle à tous deux. Le deuxième aspect particulier du projet était la convention de travailler en images fixes, comme dans un livre illustré. Cela nécessite de condenser toute une narration, parfois complexe, en une seule image, comme un tableau.
De plus, et c’est ce qui a pris le plus de temps à réaliser, c’est le fait que chaque image résulte d’une combinaison entre plein de possibilités. Il a fallu penser pour chaque page toutes les combinaisons possibles et s’assurer qu’elle soit toujours claire et bien composée, que les éléments raccordent bien, semblent bien placés dans la profondeur, ne se chevauchent pas et soient toujours sélectionnables par le joueur. Et ça, c’était un beau casse-tête !
Quelles étaient tes intentions et ambitions pour les graphismes du jeu ?
SwapTales: Léon! emprunte son fonctionnement à celui d’un livre, avec sa mécanique d’allers et retours entre les pages. C’est pourquoi nous avons cherché à tous les niveaux à rester dans l’univers chaleureux du livre et du papier. J’avais envie que les dessins aient l’air d’avoir été faits et colorés à la main, et se démarquent des graphismes très “vectoriels” de nombreuses productions actuelles pour enfants. En quelque sorte, je voulais que ça fasse plus artisanal.
Comment est apparu le character design (personnalité et apparence d’un personnage, ndlr) de Léon ? Qu’est-ce qui t’inspire pour créer un personnage ou un décor ? Des exemples ?
Avant d’être un jeu “professionnel”, SwapTales: Léon! a été un projet étudiant, mené par une partie de l’équipe actuelle. Le personnage de Léon s’appelait alors “Michel” et la première version de son character design avait été réalisée par Orson Favrel, le graphiste principal du jeu.
Je suis donc reparti de ce design-là lorsque nous avons retravaillé le projet quelques temps plus tard. Orson avait posé les idées principales: les pieds nus, le pull un peu détendu, les cheveux ébouriffés et je crois que nous avons défini ensemble qu’il aurait les cheveux gris-bleu.
J’ai repris ces éléments que je trouvais chouette et qui constituaient à mes yeux le personnage: aventureux, spontané et sans-gêne. Il se trouvait aussi qu’Orson avait dessiné des personnages avec des têtes ovales, plus large que hautes, ce qui est un des traits de caractères de mes dessins depuis tout petit. J’ai donc naturellement gardé toutes ces caractéristiques pour m’approprier le personnage et trouver le Léon actuel.
Sinon de manière générale, je m’inspire beaucoup de mon enfance et de mon vécu et aussi beaucoup de photos pour les décors ou les vêtements.
Quel matériel utilises-tu ? Comment la réalisation d’une illustration se déroule ?
Pour Léon, j’ai commencé sur papier, avec un porte-mine et une table lumineuse pour pouvoir superposer les dessins qui constitueraient l’image finale. Mais en milieu de production, les pages étant de plus en plus complexes et le temps serré, j’ai constaté qu’il était plus aisé de chercher les compositions directement sur ordinateur, équipé d’une tablette Cintiq.
Ceci dit, que je fasse mes croquis sur papier ou en numérique, je finis toujours par mettre le trait au propre en numérique, avec une forme d’outil maison qui imite le porte-mine. J’ai même scanné des traits de porte-mine pour arriver à reconstituer l’effet dans mon logiciel de dessin, héhé.
Plusieurs coloristes ont également travaillé sur le projet, comment la collaboration s’est-elle déroulée ? Quelle était le workflow (organisation du travail, ndlr) côté graphisme ?
Pour la couleur, j’ai commencé moi-même et mis en couleurs tout le premier chapitre. Mais, en effet, au coeur de la production, j’ai vu que je n’arriverais pas à tenir le rythme, étant également co-dirigeant du studio et co-game designer. J’ai donc partagé la tâche avec Virginie Fraboulet et Olivier Blanchin, qui sont deux excellents illustrateurs. Mon travail sur le premier chapitre avait permis de définir le style principal du jeu, mais il a fallu l’enrichir ensemble, car les 4 chapitres du jeu sont assez différents en termes d’ambiances.
En terme de méthodologie, nous nous sommes à chaque fois mis d’accord sur les ambiances colorées des décors et éléments principaux des pages avant que les coloristes ne mettent en couleur les dizaines et dizaines d’éléments modulaires de chacunes d’elle. Vous imaginez, s’il faut retoucher 80 dessins parce que la couleur choisie à la base n’était pas dans le style du jeu ?!
Le jeu comporte un nombre très important d’illustrations faites à la main. Est-ce que cela a représenté une difficulté à produire ?
Cette dimension artisanale te semble importante sur un projet ?
Oui, j’avais envie que chaque illustration découverte par le joueur soit une friandise. Si on propose de la variation dans un jeu, ce n’est pas pour bâcler les variations. Je me suis efforcé de traiter chaque dessin avec amour du détail.
Evidemment, ç’a été un travail bien plus énorme que ce que j’avais prévu, héhé… et je ne suis pas sûr que je le referais de cette façon.
Il faut dire aussi qu’une partie des dessins, terminés et colorés, est partie à la poubelle suite aux playtests, car les premières versions de certaines énigmes ne fonctionnaient pas bien auprès des joueurs. Il a fallu les repenser et les redessiner. C’est un processus normal sur un jeu, mais sur Léon, on repart vraiment à zéro quand on refait une page ou une énigme.
Que conseillerais-tu à un étudiant intéressé par le graphisme pour le jeu vidéo ?Je lui conseillerais avant tout de se former au dessin, à l’animation, et de se familiariser avec les moteurs de jeu et en particulier les techniques de rendu.
J’ai l’impression qu’une des manières de se démarquer en termes de direction artistique et de faire des choses nouvelles dans le jeu vidéo est de savoir pousser la technique dans des directions pour lesquelles elle n’est pas forcément prévue.
Je lui conseillerais aussi de toujours essayer de comprendre quel est l’objectif de son dessin: que veut-il raconter ? Que doit-il suggérer au joueur ? Il faut toujours se mettre à la place de l’utilisateur final. Mais quoiqu’il en soit, je le redis, la base de la base c’est de s’entraîner au dessin et à la peinture – et on n’a pas assez d’une vie pour en faire le tour, j’ai l’impression.
Enfin, quels sont les projets qui t’ont marqué, t’ont touché ou inspiré en terme de graphisme (vidéoludiques ou autre) ?
En termes de dessin, je suis très influencé par la culture BD de mon enfance (Spirou, Soda notamment…) ou des choses plus récentes ou découvertes plus récemment (Le marquis d’Anaon, Calvin et Hobbes).
Pour ce qui est du jeu vidéo, j’ai dévoré les jeux d’aventures des années 80-90, les plus marquants pour moi étant The curse of Monkey Island, Little Big Adventure, Blade Runner et le tristement méconnu Outcast qui m’a laissé une empreinte indélébile… et tiens, justement, ils avaient fait un choix technique à l’encontre des usages – ne pas utiliser la carte accélératrice 3D – et privilégié un rendu encore jamais vu !
Actuellement, ce sont des jeux indés qui m’ont touché le plus (Firewatch étant le dernier en date), mais aussi certains jeux plus gros comme Until Dawn ou les deux derniers Sherlock Holmes dont le gameplay d’enquête est très réussi !
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