Interview with the game designer of the game to discuss questions raised by the writing of SwapTales: Leon!.
Chaque semaine, notre stagiaire Bastien s’est plié à l’exercice ardu d’interviewer les divers membres de l’équipe de SwapTales: Léon! Voici la retranscription de son entretien avec Charlotte autour des problématiques d’écriture du jeu.
Peux-tu nous expliquer en quoi, dans SwapTales:Léon!, la narration est pleinement liée au gameplay (les règles du jeu, l’expérience de jeu) ?
Dans SwapTales: Léon!, on joue en échangeant les mots de l’histoire.
Chaque échange modifie l’état de la page sur laquelle le joueur se trouve, ce qui lui permet de résoudre les énigmes proposées.
Mais en plus de modifier la page en cours, les choix du joueur impactent aussi la suite de l’histoire, car selon l’état d’une page, la suite sera différente. Ainsi, l’histoire est directement impactée par l’action du joueur.
Quelles répercussions cela a-t-il eu sur l’écriture du jeu et des énigmes ? Son insertion dans l’organisation de la production de jeu indépendant ?
Eh bien l’impact est majeur !
En effet, dans SwapTales: Léon!, chaque page – ou groupe de pages – a une double fonction : elle est à la fois une mise en scène narrative et une aire de jeu à explorer et manipuler. Les mots doivent pouvoir être échangés et l’histoire modifiée en conséquence, sans que cela ne fasse apparaître d’incohérences grammaticales et narratives. Et chaque possibilité doit être prévue et dessinée !
De plus, le texte doit se suffire à lui-même pour que le joueur comprenne l’objectif de chaque énigme, et celles-ci doivent être intéressantes et présenter une progression en termes de complexité ou de difficulté pour maintenir l’intérêt du joueur.
Ensuite, chaque mot échangeable doit correspondre à tout moment à un objet concret dans l’image, car c’est l’image qui permet de sélectionner les mots.
Enfin, le tout doit être amusant, raconter quelque chose d’intéressant et susciter des émotions chez les joueurs !
L’écriture de chaque page relève donc d’un casse-tête créatif à mi-chemin entre level design, poésie et dramaturgie, et se trouve intimement liée à la mise en image.
Chez Witty Wings, nous avons développé des règles d’écriture et une méthodologie de création qui nous aident à être plus efficaces dans l’écriture des pages et énigmes.
Quelles sont les thématiques principales abordées par SwapTales:Léon! ? Comment as-tu adapté ton écriture aux enfants comme aux plus grands ?
Une des intentions de SwapTales: Léon! était de rapprocher adulte et enfant autour d’une expérience commune.
Tout a ainsi été pensé pour plaire à ces deux publics: le challenge des énigmes, l’exploration des différentes possibilités, l’humour et la tendresse de l’histoire sont autant de points censés maintenir leur curiosité jusqu’au bout de l’expérience.
Lorsque nous avons choisi une thématique pour l’histoire, nous avons également cherché un sujet capable de parler aussi bien à un enfant qu’à un adulte. La question “mais finalement, être grand, c’est quoi ?” nous a paru tout à fait convenir, on a la sensation que l’on peut se poser cette question à tout âge.
Parmi les premiers testeurs du jeu, comment réagissent les enfants à l’histoire ? Et leur parents ?
La réaction des joueurs suite à leur premier échange de mots est très chouette à observer: bien que le principe soit très simple, les gens sont étonnés, émerveillés !
Ceux qui aiment le plus SwapTales: Léon! sont souvent des gens soucieux des détails, qui s’amusent donc particulièrement avec les causes et conséquences de leurs échanges, aiment découvrir des jeux de mots ou des états inattendus.
Qu’ils soient adultes ou enfants, l’histoire est pour eux avant tout un terrain de jeu où ils peuvent expérimenter et découvrir des choses surprenantes.
Quant aux parents plus spécifiquement, ils apprécient cette activité qui est “ludique, mais pas idiote” à partager avec leurs enfants.
SwapTales:Léon! a débuté comme projet étudiant à l’enjmin (École nationale du jeu et des médias interactifs numériques du Cnam, ndlr). Comment est née l’histoire de Léon ? Comment a-t-elle évolué depuis ce premier jet ?
La thématique qui tourne autour de la question “qu’est-ce que grandir ?” est née de notre volonté de trouver un sujet pouvant intéresser à la fois adulte et enfant.
Ensuite, même si le coeur de l’histoire reste le même, beaucoup de choses ont changé depuis la version étudiante. Comme nous avons pu faire tester de nombreux joueurs, nous avons amélioré et enrichi l’histoire et rajouté de nombreuses énigmes.
Pour mettre en avant le caractère magique de l’échange de mots, nous avons aussi souhaité développer une histoire qui se passe dans notre monde à nous, où l’on peut être encore plus étonné par les possibilités offertes par les échanges que dans un univers magique où tout peut déjà arriver.
Enfin, nous avons construit l’histoire en fonction de nos besoins de rythme pour le jeu. Les respirations, les rebondissements… Tout est aussi pensé en terme de jeu: à quel moment devons-nous expliquer une fonctionnalité ? A quel moment corser un peu les choses ou laisser le joueur se reposer après une énigme compliquée ?
C’est dans cette gestion des conflits que l’écriture pour le jeu et l’écriture dramaturgique (pour la littérature ou le cinéma) se rejoignent.
Que conseillerais-tu à un étudiant intéressé par l’écriture spécifique pour le jeu vidéo ?
Je sais que ce n’est pas forcément le cas de toutes les productions, mais pour moi l’écriture interactive doit être pensée avec le game design.
Par conséquent j’aurais tendance à conseiller d’étudier la spécificité de l’écriture et la conception pour le jeu vidéo. En plus d’étudier la dramaturgie, la meilleure chose à faire et de jouer beaucoup et d’analyser les jeux, de lire un maximum à ce sujet et se former à la conception de jeu.
Et ensuite, toujours, de mettre les mains dedans en tentant d’écrire des projets interactifs, seul ou en petite équipe, lors de game jams par exemple.
Enfin, quels sont les jeux qui t’ont marquée, t’ont touchée ou inspirée en terme d’écriture ?
Vaste sujet… Petite, j’ai été subjuguée par les grands jeux d’aventure qui m’ont montré qu’on pouvait s’immerger dans un jeu comme dans un bon livre, comme Final Fantasy 7 et Zelda.
Plus tard, j’ai apprécié la simplicité des jeux qui racontent et créent du sens par l’expérience, comme Limbo, Flower, Papers, please, Journey, etc.
Et maintenant j’ai l’impression de me lasser très vite, je suis surtout à la recherche des perles un peu différentes, que je n’aurais pas déjà vu mille fois sous une forme ou une autre, et elles sont dures à trouver, mais il y en a encore régulièrement alors ça va !