Comme chaque semaine, voici une nouvelle interview making-of. Aujourd’hui, nous allons parler de la réalisation des effets sonores supervisée par Axel Speller.
Peux-tu nous parler de l’importance du sound designer dans ce que l’on nomme, en jeu vidéo, les signes et feedbacks (manières dont une indication est donnée par la machine à l’utilisateur, ndlr) ?
Je dirais que le rôle du sound designer est de soutenir le feedback, aider à sa compréhension et à faire le distinguo entre les informations primordiales les informations secondaires.
Dans le cas de SwapTales:Léon!, on va tenter de mettre l’accent sur les feedbacks liés à la progression du joueur. Ces sons devront être facilement identifiables et mémorisables par le joueur, afin qu’il puisse comprendre se qu’on attend de lui sans forcement regarder l’écran.
En terme de design cela se traduit par des sons qui devront se démarquer du reste mais il faudra également veiller à rester en accord avec l’univers et la direction artistique du jeu.
Enfin, il faut également veiller à ce que ces feedbacks ne soient ni trop forts et ni trop répétitifs sous peine de créer une fatigue auditive chez le joueur qui pourrait lui faire lâcher le jeu.
Les feedbacks sont toujours compliqués à créer pour un sound designer car il faut prendre en compte tous ces éléments et trouver le bon équilibre.
Quelle fut la direction choisie en terme de sound design pour ce projet ? Vers quels choix cela t’a-t-il conduit pour les bruitages du jeu ?
Comme les prémices du projet datent d’il y a quelques années, toutes les fondations de SwapTales:Léon! ont été posées bien avant que j’arrive. Pas mal de choses avaient déjà été faites par Sylvain (premier sound-designer et compositeur sur le projet, ndlr), je me suis donc greffé à sa vision. Ce que je peux dire c’est que la direction choisie pour le sound design oscille entre le réalisme et le cartoon.
On s’est donc orienté vers l’enregistrement ou l’utilisation de sources réelles plutôt que de passer par des synthétiseurs pour produire les bruitages du jeu.
Il faut garder à l’esprit que les sons doivent être amusants à écouter et refléter à la fois l’élément sélectionné ainsi que le mot qui lui est associé. D’ailleurs, mon plaisir c’est de voir quelqu’un jouer et appuyer sur certains objets juste parce qu’il aime le son qu’ils produisent.
Comment procèdes-tu pour construire un son ? Quels outils et matériel utilises-tu ? As-tu eu recours aux techniques de bruitage traditionnel, telles qu’on les pratique au cinéma, par exemple ?
Premièrement, pour chaque page on se réunit avec Charlotte et Fabrice, les directeurs créatifs du jeu, on regarde quels sont les éléments à sonoriser et s’ils ont des attentes particulières.
Après ça je commence à réunir des sources pour chaque son, soit en les enregistrant directement, soit en piochant dans les banques de sons à ma disposition. Je crée les sons en les superposant, en ajoutant des effets (type réverbération, distorsion…etc) et je réfléchis également à la manière dont je vais les intégrer dans le jeu avec le moteur audio.
De mon point de vue, l’intégration va vraiment influencer la création des sons, il faut donc y réfléchir en amont. On peut parfois faire un super son qui une fois en jeu sera plus que moyen. Dans tous les cas c’est un processus itératif, on fait sans cesse des aller-retours entre le processus de création et d’intégration jusqu’à ce qu’on trouve la bonne formule.
Pour ce qui est des outils j’utilise Reaper pour produire les sons avec pas mal de plug-ins, et nous utilisons Wwise comme moteur audio. D’un point de vue matériel, je ne possède rien de très sophistiqué : une carte son, une paire d’enceintes, un casque, quelques microphones, un clavier midi et un enregistreur portable.
Sinon effectivement pour certains sons j’ai du recourir à quelques techniques de bruitage, à la différence près que dans SwapTales:Léon!, en dehors des interfaces, on a fait le choix d’utiliser uniquement des images fixes. C’est donc le son qui va créer du mouvement et cela rend mon travail d’autant plus intéressant sur ce projet : il faut arriver à faire vivre des images quasi-statique avec le son.
Wwise, le moteur son utilisé pour le jeu
As-tu échangé avec le compositeur de la musique ? Comment vous êtes-vous coordonné ?
Sylvain étant sur le projet depuis le début, collaborer ensemble était obligatoire afin qu’il me transmette sa vision et son organisation. Étant donné que nous ne sommes pas sur le même fuseau horaire, nous travaillons en général à tour de rôle sur le projet, ce qui évite déjà pas mal de conflits.
Ensuite, à chaque fois que l’un de nous deux fait un changement, il en informe l’autre.
Enfin, de temps en temps, nous nous réunissons lorsque des idées impliquent à la fois les bruitages et la musique ou que l’un de nous est bloqué sur un problème.
Quelles problématiques de mixage le support tablette a-t-il soulevé ? Comment tu les as abordées ?
Le mixage est un bon exemple de collaboration entre Sylvain et moi.
Pendant les phases de mixage nous faisions des ajustements l’un après l’autre jusqu’à ce qu’on soit satisfait tous les deux.
Quant aux problématiques du support tablette, elles sont multiples. Premièrement les hauts parleurs de ce type d’appareil ont une bande-passante limitée et ne sont pas très puissants. Il faut donc adapter nos sons à ces caractéristiques dès la phase de conception : par exemple dans Reaper je vais simuler le rendu des haut parleurs d’une tablette afin de m’assurer qu’ils seront retranscrits à peu près correctement.
Ensuite les joueurs peuvent vouloir utiliser un casque plutôt que les haut-parleurs de l’appareil. Il faudra donc créer deux mixages distincts afin que les joueurs puissent profiter par exemple de la dynamique et de la bande passante étendues offerte par un casque.
Évidemment, on ne pourra pas tester chaque configuration d’appareils ou de casques, donc on doit faire en sorte que les informations primordiales aient la priorité dans le mix pour que tout se passe le mieux possible sur un maximum d’appareils.
Il arrive aux de développeurs de sous-estimer l’apport de l’audio, privilégiant les graphismes, et sous-traitant parfois la partie sonore en toute fin de projet. En quoi travailler en amont sur le son sur un projet ajoute selon toi à la qualité finale du jeu ? Quel est ton point de vue sur la culture sonore chez les développeurs ?
Je tends à penser que les développeurs sous-estiment de moins en moins l’apport de l’audio, mais je dirais aussi que ça dépend pas mal de la culture des gens et de l’ambition qu’ils ont pour leur jeu. Pour l’instant sur tous les projets de jeux sur lesquels j’ai travaillé, j’ai eu la chance que le son soit considéré sur un pied d’égalité avec le reste.
Ça doit venir du fait que les gens avec qui je travaille ont été éduqué assez tôt (durant leurs études par exemple) à prendre en compte l’aspect sonore d’une œuvre et y voir la plus-value. Cependant, il y a peut être encore un peu de boulot pour que l’audio ne soit plus forcement associé uniquement à la musique mais bien aux bruitages ET à la musique ainsi que leur intégration dans le jeu.
Travailler en amont de la production est un avantage pour tout le monde. Comme n’importe qui, on travaille mieux quand on a plus de temps. Ça nous permet d’essayer plus de choses, résoudre des problèmes techniques avant qu’ils n’apparaissent, de peaufiner certains éléments, avoir plus de retours de l’équipe sur ce qu’on fait.
Au final on aura une vision plus précise du projet et on sera plus à même de proposer de nouvelles choses au fur et à mesure. Ça va également soulager l’équipe en fin de production qui sera déjà bien occupée à débugger le jeu ou à communiquer sur le projet.
Si vous commencez à travailler à la fin du projet, il y a de grande chance que personne ne soit vraiment disponible pour vous assister ou vous faire des retours.
Que conseillerais-tu à un étudiant intéressé par le sound design pour le jeu vidéo ?
Avant de se mettre au sound design, apprendre les bases sur tout ce qui touche à l’audio en général : la prise de son, le montage son, l’acoustique… Il faut être curieux, ne pas se précipiter, expérimenter et faire des erreurs.
Pour le jeu vidéo, aujourd’hui il y a énormément de ressources en ligne pour se former sur les outils. N’hésitez pas à participer à des Game Jam près de chez vous, apprendre à travailler en équipe est probablement ce qui vous fera le plus progresser.
Enfin, quels sont les projets qui t’ont marqué, t’ont touché ou inspiré en terme de sound design (vidéoludiques ou autre) ?
Je reste toujours fasciné par l’animation japonaise et le fait que beaucoup de sons soient assez iconiques sans être lassants. Et j’apprécie particulièrement qu’on joue avec les sons, qu’on bouleverse un peu les codes à la manière de Playtime de Tati.